Ti-Gus lève la
main et pose une question pour mettre
son Prof Bof en boite : Mon cher Prof,
vous semblez justifier la morale que vous |
sérieux et toute personne qui a voyagé ou qui
est venue en contact (direct ou indirect) avec d’autres cultures est amenée
inévitablement à se poser cette question …qui mérite considération. Je t’offre ici quelques éléments de réflexion
(cinq de fait) qui peuvent permettre d’atténuer quelque peu la
force de ton objection et peut-être t’aider à être plus compréhensif et plus
tolérant. |
UNE
PREMIÈRE REMARQUE GÉNÉRALE. La
connaissance du bien et du mal n’est pas innée même si certaines évidences
s’imposent tellement spontanément qu’on pourrait être porté à le
croire. Il
en est de la vérité dans l’ordre du bien et du mal comme de la vérité dans
l’ordre des sciences plus objectives. Il ne suffit pas de penser
ou de formuler quoi que ce soit pour être dans la vérité. Il importe de
se prémunir contre un ethnocentrisme facile et réconfortant. Le jugement
moral est difficile comme le jugement en matières de sciences. Si certaines
évidences sautent aux yeux, la plupart sont acquises par la multiplication
des expériences et de la réflexion. Il y a à peine quelques siècles que l'on
est convaincu (du moins en Occident) que la terre est ronde et non plate.
Pourtant, ici des hurluberlus, ailleurs des peuples qui n’ont pas
connu l’évolution scientifique de l’Occident, croient encore que la
terre est plate et repose sur quelques piliers, etc. Pourtant crois-tu,
mon cher Gus, que c’est tout à fait optionnel ou subjectif ou culturel
de dire que la terre est ronde ? Et s’il en était ainsi des données
morales aussitôt que l’on dépasse un certain niveau de subtilité ! De même
toute l’humanité reconnaît l’existence du tonnerre, cependant certaines des
explications que l’on avance pour l’expliquer détonnent quelque peu et on est
peut-être autorisé à dire tout simplement que c’est faux. De
fait, il n’est peut-être pas nécessaire de savoir que l’on a atteint une
vérité définitive ou ultime mais qu’au moins on s’en approche…au lieu de
tourner en rond au gré des cultures et des époques et ne même plus espérer
qu’il y ait une quelconque lumière à l’horizon et qu’un progrès soit
possible. La
vérité, même morale, est difficile, elle n’est pas pour
autant toujours relative. Que toutes les cultures n’aient pas suivi au
même pas les derniers avancés scientifiques ne jette pas un doute sur
tous les progrès scientifiques faits depuis les derniers siècles. Voici d’autres éléments de réflexion qui permettent de voir un peu
plus d’unité dans la communauté des êtres humains ou de comprendre cette
diversité qui t’offusque, mon cher Gus, quant vient le temps de dire ce qui
est bien et ce qui est mal. |
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EN
QUÊTE DU MINIMUM VITAL. Si on procédait négativement! Aucune
culture à ce que l’on sache n’a pensé ou soutenu qu’il valait mieux ne
pas être qu’être, ne pas Par
l’absurde, on voit bien ici que l’être vaut mieux que le non être… Ça parait
simple, simpliste, élémentaire mais c’est le ressort universel de l’éthique
de tous les peuples. Il importe de s’en rendre compte avant d’aborder
les autres remarques qui suivent. |
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LE POIDS DES CIRCONSTANCES peuvent rendre LA DIVERSITÉ LÉGITIME. la même exigence morale, acceptée
à peu près universellement, peut se manifester différemment et
légitimement en raison des circonstances historiques et géographiques. |
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Voici
quelques exemples parmi bien d‘autres. La
même générosité dans le don de la vie peut se traduire par un nombre très différent d’enfants
dans un contexte urbain et un contexte rural, ou dans un contexte où la
moitié des enfants meurent en bas age… Interdiction
du porc dans les cultures du désert… avant l’existence des congélateurs. Le
droit de mourir face aux progrès récents de la médecine où peut sévir un
acharnement thérapeutique. Le
même droit de la société de se défendre contre certaines formes de
malfaisance (meurtre, viol, vol, etc.) peut prendre différentes
formes selon les possibilités concrètes de l’époque : élimination,
amputation, prisons, piloris, exil, amendes, travaux communautaires,
« tape sur les fesses », « Va et ne pèche plus », etc. |
La hiérarchisation des mêmes valeurs. Calibrage différent selon les
cultures ou les époques… Les cultures différentes s’entendent souvent sur ce qui est bien ou
mal, ont en commun plusieurs valeurs. Cependant en cas de conflit de valeurs,
on diffère dans la hiérarchisation des mêmes valeurs. |
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Authenticité
et sincérité de la relation de couple vs. longévité ou permanence du
couple. Honneur vs le respect de la vie.
(Duel aux siècles précédents) Hospitalité
vs
exclusivité du lien conjugal. En signe d’hospitalité on prête sa femme pour
la nuit. On offre ce que l’on a de mieux. C’est l’art de bien recevoir ou
l’étiquette de rigueur. Dans des pays, où les conditions étant telles, le
refus de l’hospitalité équivaut à une condamnation à mort…Peuples des
glaces…Peuples du désert… Vouloir
le bien d’autrui (à la limite son « salut ») et l’adhésion libre à la
vérité ou la paix sociale. La garantie
de la fécondité de la femme peut être une telle valeur que la perte de la
virginité et la naissance d’un premier enfant est une valeur pour les
candidates au mariage. Le
culte de l’être suprême et le sacrifice d’un être humain. On
offre ce que l’on a de mieux… Respect
absolu de
la vie et qualité de la vie… Droit individuel
et droit de la collectivité. Le respect
de la vie et la liberté de la maternité responsable |
Effort pour voir l’intention première…qui est plus
semblable qu’il n’y parait derrière des pratiques fort
dissemblables. Les prescriptions morales des diverses cultures manifestent plus
d’unité si l’on fait attention à l’intention fondamentale, au schème
dynamique qui se trouvent derrière les différentes pratiques. Mon cher Augustin, toutes les cultures se rejoignent dans cette
intuition morale minimale : on ne traite pas un être humain
comme un animal; on ne tue pas un être humain sans raison. D’où viennent alors les divergences et ces pratiques qui nous
paraissent si étranges et qui blessent notre propre sens éthique? |
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Les
divergences se situent à d’autres niveaux, à des divergences culturelles
et historiques sur ce qu’est un être
humain. On veut bien respecter d’une certaine façon les êtres
humains mais si on croit dans une culture donnée, comme cela s’est
présenté, que l’étranger « n’est pas un être humain», on voit les
conséquences. La
même manière de raisonner peut s’appliquer si certaines races sont
considérées comme sous-humaines. Tu
vois Gus, la difficulté ou la divergence n’est pas sur le respect de la vie
humaine, mais sur la notion d’homme…Étonnant de voir comme il fut difficile
pour l’homme de se reconnaître dans son semblable. Le
même raisonnement s’est appliqué souvent à l’esclave…qui n'était pas
un égal en tant qu’être humain et n’imposait pas l'exigence morale
fondamentale. Plus
près de nous, l’enfant n’était pas considéré comme un être humain.
Donc… on devine les conséquences si on ne devient homme qu’à six ou douze
ans. Et si
on veut se mettre en cause (pour mieux comprendre le passé et des
options qui nous paraissent si étranges) : le fœtus est-il un être humain
et exige-t-il en conséquence le respect du à tout être humain…Si non à
quel stade? 3 mois? Six mois? Huit mois? On
ne peut tuer un être humain sans
raison, disions-nous, On s’entend mais quelle est la raison suffisante?
Et là on peut avoir toute une gamme de divergences selon les cultures ou
les époques: l’adultère (de la femme évidemment !), le sacrifice aux dieux,
le vol d’un pain, l’hérésie, la trahison envers le groupe, le meurtre d’un
semblable, le déshonneur, la légitime défense ? l’euthanasie? En
Occident, on considère très généralement comme critères non acceptables pour
justifier la mise à mort l’adultère, le vol, le délit d’opinion, les
sacrifices à la divinité. D’autres
critères font moins Cependant
sont très généralement acceptés: la légitime défense, la guerre défensive.
(À une exception près, les Quakers, qui placent à un tel niveau le
respect de la vie d’autrui, qu’ils refusent de se défendre…et préfèrent
accepter leur propre mort. Oh Vertu, que de crimes…) Mon
cher Gus, tu vois que la gamme des attitudes est très grande et que le schème
dynamique « on ne traite pas un homme comme un animal », est
toujours là mais se diversifie dans ses applications au point de ne plus être
reconnaissable. |
Mon cher Gus, il ne faut pas
confondre les pratiques courantes d’une culture (ce qui est fait) et le code éthique de cette même culture
(ce qui est jugé comme bien ou mal). Dans nos vies personnelles, on est loin
d’être à la hauteur des principes que l’on défend. Il ne faut pas
s’étonner qu’il en soit ainsi dans les différentes cultures et on se doit de
ne pas confondre les deux niveaux… |
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Parait-il
qu’on aurait pratiqué en certaines région le droit de cuissage (Gus,
c’est le droit du seigneur local de déflorer la nouvelle mariée). Cette
pratique pouvait faire l’affaire du seigneur…mais peut-on penser que ce fut
considéré comme « un devoir » ou tout au moins fort légitime et
« normal » au moins par le nouveau marié. Il est
possible que des gens (combien ?) mentent quant vient le temps de
payer leurs impôts mais de là à en faire une obligation morale! La
fidélité et le mariage monogame seraient considérés communément comme
des valeurs…même si (on ne fait pas ici le décompte) maîtresses et gigolos
devenaient à peu près universels ou tout au moins majoritaires. Un
grand écrivain, fort sérieux pourtant, a avoué : « Je ne fais
pas ce que je devrais faire et je fais ce que je ne devrais pas faire » On
pourrait peut-être étendre cet aveu et cette forme de remord au niveau
des diverses cultures. |
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